Une trentaine de volumes, traduits dans près de quarante langues.
Mondialement connu et célébré (1). Sauf en Occident, à part un cercle restreint.
Quoi de plus normal ?...
Censure, désinformation font bien leur travail. Il appartient à un peuple spolié, massacré, torturé, affamé, emprisonné, humilié, enseveli vivant dans l’oubli, par l’Occident, déguisé en “Communauté Internationale”. Depuis 60 ans.
Occulter…
Somme toute, il a eu la chance de vivre jusqu’à cet âge. Beaucoup de poètes, romanciers, artistes Palestiniens, ont été assassinés par les escadrons de la mort occidentaux. Systématiquement, au cours des décennies. Souvent, avec leurs enfants. Traqués, même en dehors de la Palestine. Mitraillés, mutilés par des colis piégés (2), bombardés, explosés dans leur véhicule familial. Les instruments de terreur habituels…
Réduire au silence …
Espérons qu’un jour, en Occident, la censure officiant dans les maisons d’édition, encore plus implacable qu’une censure publique car privatisée, laisse publier une anthologie des œuvres de tous ces artistes Palestiniens assassinés pour avoir eu le tort de vouloir témoigner, pacifiquement, par leur art, pour la liberté de leur peuple.
On le sait. Un des premiers objectifs des colonisateurs est d’éradiquer les intellectuels osant braver la loi du plus fort, et prétendre “résister”. Ecrire, chanter, vivre cette résistance. Plus grave : cultiver, entretenir la mémoire de leur nation.
Les occidentaux ne se sont-ils pas acharnés à pister, repérer, confisquer, détruire les archives, notamment officielles de l’Empire Ottoman dont la Palestine était alors une province autonome, parmi les plus prospères et les plus riches sur le plan agricole ?... Celles qui établissaient les cadastres, les registres de la Conservation Foncière des différentes régions de la Palestine, avec les références des propriétaires, l’historique des transactions... L’histoire d’une nation, au quotidien.
Effacer la mémoire d’un peuple. Rendre inaccessible les archives, étouffer la parole, détruire la transmission écrite et orale des fibres et des vibrations de son âme…
Mahmoud Darwich a connu le nettoyage ethnique de 1948, provoquant le déplacement de centaines de milliers de Palestiniens. La spoliation de leurs terres et de leurs maisons. Officiellement recensés par l’ONU : 750.000. En réalité, plus du double.
Ne fallait-il pas affirmer (3) que la Palestine était une terre vide d’habitants, à part quelques bergers nomades ?...
Son village natal en Galilée, Barweh, a été rasé jusqu’au sol, cette année-là. Plus de 400 subissant le même sort. Un autre a été reconstruit depuis, par des colons. Venus d’Europe. Avec un autre nom. Avec des bulldozers, des explosifs. Jusqu’à défoncer le cimetière. Pour construire dessus.
Effacer. Toujours et encore …
Ne fallait-il pas soutenir que la Palestine était une terre stérile avant l’arrivée “civilisatrice” des colons européens ?...
Il a connu la sauvagerie et la prison des colons. Cinq fois. Dont une fois, pendant trois ans. Une dizaine d’années en prison, en tout. Il n’a, pourtant, jamais tenu une arme de sa vie. Motif ?... Avoir écrit des poèmes contre la spoliation de sa terre natale, l’oppression de son peuple et le saccage de sa culture.
Déjà à 12 ans, un de ses poèmes mettant en scène un jeune Palestinien retrouvant sa maison occupée par un colon, cultivant la terre de ses ancêtres, lui avait attiré la haine de la police politique de l’occupant. Elle l’avait menacé, s’il continuait à écrire, de s’en prendre non seulement à lui, mais aussi à sa famille. A commencer par son père. Censure, menace, chantage, racisme, haine, violence, dès l’enfance, il avait tout expérimenté de la barbarie coloniale.
Il est vrai que l’oppression coloniale ne connaît pas de limites, quant à l’âge de ses victimes. Ni dans les moyens. Cette année, dans son hystérie prédatrice, ne va-t-elle pas jusqu’à interdire la publication, en langue arabe, des ouvrages hautement subversifs tels que “Pinocchio” ou “Harry Potter” ?… (4)
Mais, les colons occidentaux ne prétendent-ils pas représenter la “démocratie” dans le monde ?...
Mahmoud Darwich sera enterré à Ramallah, où il vécut ces dernières années. Il aurait tant aimé être enterré dans le cimetière de ses ancêtres. Même mort, l’occupant n’en veut pas. Choc de deux cultures ?... Hospitalité orientale contre exclusion occidentale ?... Le partage du pain contre le saccage du bulldozer ?... De toute façon, son village, avec sa petite mosquée et son cimetière, n’existe plus…
Il a pleuré la souffrance et l’exil. La Terre perdue. La Mère disparue.
L’olivier, symbole de l’Histoire et de la prospérité de la Palestine, si souvent chanté par Mahmoud Darwich
Ecoutons-le, même si la traduction ne restitue pas la splendide musicalité de la langue arabe, langue par essence des poètes :
… Tu as volé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais.
Moi et mes enfants, ensemble.
Tu nous as tout pris, hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici.
Mais ton “gouvernement” va les saisir aussi
... à ce que l’on dit !
Ou encore :
Je viens de là-bas et j’ai des souvenirs…
Je suis né comme tout mortel, avec une mère
Une maison avec beaucoup de fenêtres
Des frères, des amis,
Et, une cellule de prison, avec une fenêtre ouverte sur le froid.
La vague est mienne, emportée par les goélands,
Ma vision est l’horizon
Avec un simple brin d’herbe.
La lune est mienne, au lointain extrême des mots,
Tout comme le don des oiseaux
Et l’immortel olivier.
J’ai parcouru cette terre avant que les épées
Ne transforment son corps vivant en une pierre nue.
Je viens de là-bas. Pour ma mère, je suis le ciel,
Quand le ciel pleure pour sa mère.
Et, je pleure pour me faire entendre d’un nuage qui en revient.
J’ai appris tous les mots en usage dans le tribunal du sang,
Afin d’en briser les décisions.
J’ai appris tous les mots et je les ai brisés,
Afin d’en écrire un seul :
“Patrie” …
Dès le jour de ses obsèques, les cloportes se sont mis au travail…
Grouillant, s’appliquant, méticuleusement, à transformer, déformer, dévaloriser, caricaturer l’immense engagement de l’artiste et de l’homme pour la cause de son peuple et celle de la dignité humaine (5).
Dans l’abjection intellectuelle la plus cynique.
Bien sûr, Mahmoud Darwich ne voulait pas être considéré uniquement comme un “artiste militant”. Il se voulait avant tout poète. Mais, les bouffons veulent sa peau, une deuxième fois. Réduire sa poésie à un exercice mondain, élégiaque. D’où seraient bannies toutes références à la Palestine et son martyre.
Sécrétant, sous leurs plumes, dans leurs propos, l’ignominie.
Lui, qui n’a jamais cessé de célébrer, de chanter le souvenir de sa nation… En arriver à lire :
“… ce qui manquera à jamais, c’est sa voix, ce grain unique assorti d’un regard porteur d’une vision”.
Quelle “vision” ?... Comme s’il s’agissait d’un Lamartine cultivant ses vapeurs romantiques.
Lui, qui a connu la prison, l’exil, les menaces de mort pour ses écrits… Lire :
“… il s’était exilé en 1970, vivant dans plusieurs villes étrangères, notamment à Paris (”J’habite dans une valise” disait-il alors) ne retournant dans son pays qu’un quart de siècle plus tard… ”.
Il “s’était exilé”… Volontairement, par plaisir ou par fantaisie, sans doute ?...
Lui, ardent militant, longtemps membre du parti communiste Palestinien, ne cessant de dénoncer l’injustice, la colonisation et la complicité criminelle de la “Communauté Internationale”… Lire :
“… Il s’était retrouvé un peu malgré lui à se faire le porte-voix de la cause palestinienne, notoriété et prestige obligent … Rien ne l’exaspérait que d’être réduit et enfermé dans l’appellation de “poète officiel de son peuple” ou de ”poète de la résistance…”.
Oser écrire : “… un peu malgré lui à se faire le porte-voix de la cause palestinienne”…
Un de ses plus beaux poèmes est consacré à l’enfant Palestinien, tué par un sniper : Muhammad al Durrah. Nous avons tous vu cette tragique photo. Cet enfant blotti contre le dos de son père, les deux accroupis sous la fusillade, contre un mur. Terrorisés. Avec la main et le bras de son père pour seules protections. Sans armes, donc sans danger pour la soldatesque. Enfant assassiné de sang froid. Oui, car impossible de rater sa cible avec un fusil à lunette.
A la suite de ce crime, contrant la propagande occidentale des Palestiniens et Arabes traités en peuples “n’aimant pas la vie”, il prononça la célèbre formule : “ Bien sûr que nous aimons la vie, encore faut-il qu’on nous la laisse vivre !”.
Lui, qui est entré en conflit avec Arafat prêt, sous la pression occidentale lors des “Accords d’Oslo”, à abandonner l’application des résolutions de l’ONU censées protéger, même si elles n’ont jamais encore été appliquées, les quelques droits à l’existence du peuple Palestinien. Lire :
“… Ces dernières années, il avait pris ses distances, réservant ses ultimes lances à Yasser Arafat auquel il consacra des tribunes implacables…”
“… Il avait pris ses distances…”. Comme s’il avait abandonné une cause perdue, comme s’il s’était soumis à l’occupant.
Au mois de mai dernier, malade, il avait envoyé une lettre aux participants du Festival Palestinien de Littérature, rappelant :
“… combien il est difficile d’être Palestinien, et pour un Palestinien d’être un écrivain et un poète… Comment peut-il parvenir à la liberté d’écriture dans de telles conditions d’esclavagisme ?... Comment peut-il préserver le travail des mots qu’exige toute Littérature dans un contexte aussi sauvage ?...”
Lui, qui, nourri de toute la grande tradition de la poésie arabe, composante essentielle de sa civilisation, a vu ses poèmes mis en musique et repris dans toutes les rues arabes… Lire :
“… Il se réclamait d’une tradition lyrique et humaniste qui puise son inspiration dans un imaginaire arabe bien antérieur à la naissance de l’Islam…”
L’éternel et inusable cliché de l’islamophobie. Pour un islamophobe, le monde arabe ne connaît depuis l’apparition de l’Islam aucune littérature, poésie, art, imagination, créativité… (6). Qu’attendre de plus de ces fanatiques ?...
Les pulsions irrépressibles de la salissure.
A vomir.
Mais, qu’importe les cloportes …
Ils ne pourront rien devant cette évidence gravée dans les marbres de l’Histoire :
“… Tu as volé les vignes de mes pères…”